L’industrie Blockchain, un atout au service de la souveraineté économique et numérique

FFPB
20 min readMay 31, 2021

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Souveraineté numérique, attractivité de la France, état de l’écosystème français, orientation de l’industrie, recommandations d’évolutions réglementaires et actions à mener pour le développement de l’industrie, etc. Les enjeux de l’industrie blockchain dépassent amplement l’avenir des cryptoactifs et la présidence française de l’Union européenne en janvier 2022 pourrait être l’occasion de faire avancer de nombreux sujets.

La FFPB par la voix de son président, Rémy Ozcan, auditionné par l’Assemblée nationale le 22 avril dernier, revient sur les prochaines étapes structurantes que va devoir franchir cette industrie.

Assemblée nationale, 22 avril 2021

1) Les principales applications pour la blockchain

2) L’intégration de la blockchain dans le droit positif

3) Droit comparé de la force probante de la blockchain

4) Des réticences suscitées par les cryptoactifs en France

5) La blockchain, un outil de souveraineté ?

6) La blockchain dans le quotidien de nos concitoyens

7) Comment développer une filière de formation ?

8) Quelles actions pour renforcer l’attractivité de la France ?

Nous avons établi le constat, partagé par M. le député Jean-Michel Mis, d’une excessive fragmentation de l’écosystème français et d’une grande diversité des applications de la technologie blockchain. Bien au-delà des cryptoactifs, qui constituent sa première application historique, la technologie Blockchain trouve à s’appliquer dans plus d’une cinquantaine de domaine d’activités.

Nous avons opté pour une approche plurisectorielle, puisque chaque secteur d’activité dispose de sa propre réglementation et que l’usage de la blockchain varie considérablement de l’un à l’autre. Ceci explique que notre fédération accueille des sociétés œuvrant dans des domaines aussi différents que ceux d’EDF, Suez ou encore Orange. Le meilleur moyen de favoriser l’utilisation et le développement de la blockchain reste encore de respecter les spécificités de chaque branche pour amener leurs acteurs à saisir en quoi cette technologie peut faciliter l’extension de leurs activités en les aidant à créer des produits et des services à même de leur en apporter les bénéfices.

D’abord, elle garantit la traçabilité de produits de manière à lutter contre la fraude. Une blockchain attribue à chaque produit une empreinte numérique unique, inscrite dans le registre partagé par tous les membres validateurs du réseau, lequel sollicitera la totalité du registre à chaque inscription d’une nouvelle information. Le stockage des données réparties aux quatre coins du monde rend quasiment impossible l’identification d’un dépositaire du registre original et, partant, l’interception ou la modification des informations qu’il contient.

La blockchain apparaît dès lors comme un gage de certification dans des secteurs aussi divers que l’agroalimentaire ou le luxe. L’inscription de données dans le registre d’une blockchain les rend non seulement immuables mais surtout consultables par tous ceux qui disposent d’un accès à ce registre. L’usage de la blockchain a été envisagé pour certifier des diplômes ou encore des factures d’électricité afin de lutter contre la recrudescence de documents frauduleux.

Dans le secteur de l’énergie, la blockchain permet aussi d’automatiser une redistribution de l’électricité plus efficiente dans un quartier donné. Elle autorise en outre la création et l’échange rapide et simple de valeurs sans nécessité de passer par un tiers de confiance.

La technologie Blockchain peut jouer un rôle clé dans la réappropriation de notre souveraineté numérique et réduire notre indépendance vis-à-vis des grandes entreprises étrangères. Ignorer cette réalité reviendrait à rester spectateur de l’érosion de notre indépendance technologique.

Dans une perspective de souveraineté, elle facilite enfin le stockage de données par leur répartition. Le récent incendie d’OVH a mis en évidence l’extrême centralisation des données. Qu’elle soit le fait de Google, Amazon, Facebook, Apple ou Microsoft (les GAFAM) ou d’entreprises européennes, le moindre problème dans leur stockage rejaillit sur l’ensemble des utilisateurs. La blockchain distribue au contraire l’enregistrement des données en les chiffrant pour les sécuriser. Autrement dit, chacun peut contribuer à leur stockage en leur réservant de la mémoire sur un appareil électronique. Une fois découpés, les fichiers se répartissent entre les usagers. Le recours à la cryptographie ôte toute valeur à leurs fragments, pris indépendamment les uns des autres.

Lors de la pandémie, certains assureurs n’ont pas voulu indemniser une partie des entreprises au titre de la perte d’exploitation et ont été contraintes de déposer le bilan. La mise en place de smart contracts exécutés via une blockchain aurait pu donner lieu à une indemnisation automatisée des assurés sans que nul puisse remettre en cause la validité de leurs contrats et de leur consentement.

Grâce à la blockchain, des entreprises se financent par des émissions d’actifs numériques (Initial coin offering ou ICO), désormais encadrées par la réglementation française. Ces ICOs offrent aux PME une formidable opportunité de numériser leurs actions, dont l’échange, dès lors plus simple et rapide, répond au problème fréquent de liquidité des titres financiers non cotés.

En résumé, la blockchain, en plus de garantir l’intégrité de données, permet d’automatiser des tâches et d’échanger de la valeur dans n’importe quel secteur d’activité.

Comment la blockchain s’inscrit-elle aujourd’hui dans notre droit ?

La loi peut constituer un formidable catalyseur pour le développement d’une nouvelle technologie tout comme elle peut constituer un frein majeur pour son utilisation. En l’absence d’adaptation du droit français à la réalité technologique, nous freinerons son adoption dans de nombreux secteurs.

Une ordonnance d’avril 2016 a réglementé pour la première fois l’usage de cette technologie en lui donnant d’ailleurs une ébauche de définition légale. Cette ordonnance a reconnu la force probante des transactions de minibons, c’est-à-dire de titres financiers non cotés, effectuées via un dispositif électronique d’enregistrement partagé : en l’occurrence, une blockchain.

Ensuite, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) a fourni un cadre légal à l’usage de la blockchain en matière de financement, via les ICOs. Cette loi garantit une relative sécurité juridique aux investisseurs comme aux entreprises souhaitant se lancer dans de telles opérations.

Le Code civil ne comporte aucune disposition expresse relative à la force probante des informations inscrites dans un registre blockchain. Lors des travaux préparatoires de la loi Pacte, M. Jean-Michel Mis avait déposé un amendement en ce sens, qui n’a pas été adopté. Notre Code civil doit évoluer pour rassurer les utilisateurs de cette technologie, quel que soit leur corps de métier ou leur secteur d’activité.

Rappelons que la blockchain permet de tokeniser des actifs liquides, N’importe qui peut dès lors investir depuis son ordinateur dans un bien immobilier à la propriété fractionnée. Là encore, il faudrait apporter une sécurité juridique aux acteurs, qui le réclament d’ailleurs en modifiant le Code civil afin que les informations figurant sur le registre d’une blockchain, publique ou privée, possèdent une force probante. Naturellement, il faudrait s’accorder sur la nature de la présomption, irréfragable ou simple, qui en découlerait.

Je vois une opportunité à saisir dans la révision prochaine du Règlement sur l’identification électronique et les services de confiance (electronic IDentification, Authentication and trust Services eIDAS). Elle pourrait déboucher sur une reconnaissance officielle de la fiabilité de la signature électronique et de l’horodatage sur une blockchain, sans nécessité qu’intervienne un tiers certificateur, comme c’est encore le cas actuellement.

D’autres pays d’Europe ont-ils déjà reconnu la force probante de la blockchain ?

L’attribution d’une force probante aux informations inscrites dans le registre distribué d’une blockchain permettra de libérer le déploiement de son usage par les professionnels.

Certains pays ont avancé sur la question en adoptant une approche de type sandbox, qui permet de commercialiser services et produits pendant un certain nombre d’années, hors de la contrainte d’un cadre juridique. En somme, les entreprises disposent là d’un premier moyen d’embrasser la technologie blockchain. Nos voisins européens ne se sont pas réellement penchés sur la question de la force probante.

En revanche, Dubaï a reconnu la valeur de preuve de la blockchain, notamment pour la mise à jour du cadastre. En Suisse, l’échange de titres financiers via une blockchain fait foi autant qu’une constatation par un huissier ou un notaire. Certains pays hors de l’Union européenne ont donc démontré leur volonté de tirer les bénéfices de la technologie blockchain.

Toute blockchain, privée ou publique, mérite-t-elle d’acquérir une force probante ?

Le droit ne doit, à mon avis, pas se contenter d’appréhender ce qui lui préexiste, surtout au vu de l’extrême brièveté des cycles technologiques d’évolution de la blockchain. La réglementation ne parviendra jamais à s’adapter à toutes ses formes d’utilisation. Je préconise une approche souple et flexible.

Si nous voulons donner valeur de preuve aux informations d’une blockchain, il faut d’abord s’assurer de la fiabilité de son protocole et de l’impossibilité pratique de porter atteinte à l’intégrité des données du registre, ce qui implique de définir des critères d’architecture du protocole, à l’aune des caractéristiques de la technologie blockchain elle-même.

Voilà pourquoi il faudrait créer une certification des blockchains attestant de la présence, dans leur architecture, des spécificités garantes de la robustesse du système. Nous en comptabilisons a minima cinq : la cryptographie, la signature électronique, le registre distribué, l’utilisation d’Internet et un système de tokenisation. Il suffit que l’un de ces cinq éléments manque pour mettre à mal l’intégrité des données des données.

Le meilleur moyen d’opérer un tri dans les évolutions encore à venir de cette technologie me semble être de créer une certification, délivrée par une autorité légitime, attestant que l’on a bien affaire à un protocole blockchain plutôt qu’à un système d’information se présentant ainsi, à tort. Il faut également envisager la souveraineté sous l’angle régalien, en lien avec la gestion de l’identité ou la cybersécurité. Il me semblerait judicieux de se pencher sur ces questions à l’échelle européenne en protégeant notre marché et en donnant confiance aux investisseurs. Nombre d’entre eux hésitent à investir dans la technologie blockchain, faute de la certitude qu’ils se trouvent bien en présence d’une blockchain. Quoi qu’il en soit, il est indispensable de se saisir de ces questions au plus vite. Nous pourrions rapidement réfléchir à une certification nationale, que nous proposerions ensuite au reste de l’Union européenne.

Comment expliquer les réticences que les cryptoactifs suscitent en France et en Europe ?

La croissance exponentielle du marché des cryptoactifs dont l’émission, l’échange et la conservation n’est pas opérée par les acteurs traditionnels des marchés financiers attire naturellement l’attention des entreprises, des pouvoirs publics, des régulateurs, des investisseurs et citoyens. La réticence fondée sur une apparente absence de compréhension du fonctionnement de la technologie ne saurait suffire pour justifier la volonté de freiner le développement des cryptoactifs qui est inéluctable.

Ceux qui accusent les cryptoactifs de faciliter le blanchiment d’argent méconnaissent le fonctionnement même de la technologie blockchain. Loin de garantir l’anonymat des individus à l’origine des transactions, elle ne leur fournit une identification permettant de retracer les échanges, de bitcoins par exemple, entre différents portefeuilles. Un faisceau d’indices permet aujourd’hui d’identifier un très grand nombre de ceux qui utilisent ce type d’actifs.

L’ancien directeur de la CIA a dénoncé une méconnaissance de l’usage de la technologie blockchain et de son fonctionnement. Elle ne contribue que pour une faible part au financement du terrorisme et au blanchiment d’argent. La société Chainalysis, spécialiste de l’investigation dans ces domaines, a publié un rapport révélant un usage bien plus répandu du dollar que des cryptoactifs lors de transactions douteuses.

La cinquième directive de l’Union européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) s’applique à l’ensemble des plateformes de négociations centralisées. Les plateformes de négociation de cryptoactifs sont ainsi soumises à la même réglementation KYC-AML (Know your customer et anti-money laundering) que les établissements bancaires tenus de vérifier l’identité de leurs clients.

Enfin, toute technologie est par essence neutre. Il appartient à ses utilisateurs de se montrer responsables.

Prenons l’exemple de la Chine, qui, à la différence des autres pays, se sert des nouvelles technologies pour affecter une notation à ses citoyens. N’accusons pas la technologie mais uniquement ceux qui l’utilisent à des fins criminelles. Heureusement, un tel usage demeure extrêmement marginal. Que penser, par ailleurs, du mandat cash ? Ce service offert par La Poste, une institution aux liens historiquement étroits avec l’État en France, donne lui aussi lieu à des utilisations répréhensibles. Rappelons qu’il est possible d’identifier les individus à l’origine de 99 % des transactions réalisées via une blockchain.

Revenons au cadre réglementaire applicable aux PSAN, les prestataires de l’un des neuf services sur actifs numériques répertoriés par le Code monétaire et financier. Pour opérer, ils doivent, obtenir l’agrément de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou s’enregistrer auprès d’elle. À l’égard de ces PSAN, le législateur a retenu la même approche qu’en ce qui concerne les prestataires de services sur investissement (PSI), imposant aux uns comme aux autres des obligations des plus contraignantes, comme celle de disposer d’un important capital social, d’une assurance responsabilité civile professionnelle, de ressources humaines à l’expertise avérée et, surtout, d’un système d’identification des clients et de repérage des transactions suspectes en vue de les reporter à Tracfin.

A la suite des demandes du Groupe d’action financière (GAFI), le gouvernement français a renforcé les obligations KYC-AML, en décembre 2020, en imposant à l’ensemble des prestataires de les appliquer dès le premier euro échangé. L’étendue d’un tel dispositif exclut de facto, compte tenu de son coût, un certain nombre d’acteurs du marché. L’approche choisie par la France la classe donc parmi les pays les plus contraignants pour les prestataires de services sur actifs numériques.

Modifier la supervision et l’accueil réservé à ce type d’entrepreneurs par l’AMF est essentiel. Sa réglementation des PSAN, aujourd’hui bien trop contraignante, engendre de trop longs délais de réponse. Une telle inertie conduit nombre de sociétés françaises à partir vers des pays aux juridictions plus souples, comme la Suisse, Dubaï ou Singapour. L’instruction AMF DOC-2019–06 prévoit un délai de vingt jours ouvrés entre la date de dépôt d’un dossier d’ICO et la délivrance d’un visa. Dans la pratique, l’AMF se livre à une pré-instruction des dossiers d’une durée de trois à six mois, alors qu’elle-même avait fixé ce délai de vingt jours ouvrés par souci de se conformer à l’esprit de la loi Pacte, destinée à garantir la compétitivité de la place financière française.

Les acteurs du secteur ne peuvent plus compter que sur les élus de la République pour remédier à la situation. Nous espérons un changement des pratiques de l’autorité française de supervision des marchés financiers.

D’autres aspects du droit pourraient eux aussi évoluer. Quand une entreprise souhaite se lancer dans une ICO, l’AMF lui applique le droit de la consommation. Or ce droit concerne les relations entre consommateurs et vendeurs, deux dénominations ne convenant manifestement pas à un investisseur et à l’entreprise qu’il finance.La situation paraît d’autant plus non-fondée que le droit de la consommation ne s’applique pas au financement participatif (ou crowdfunding), au capital-investissement (ou private equity), à l’introduction en bourse (IPO) ou encore à l’émission obligataire. Au nom de quoi réserver un traitement à part aux ICO ? Rappelons, en outre, qu’en vertu de la directive Prospectus, le droit de la consommation ne s’applique pas aux Security token offerings (STO), consistant, selon la définition du Code monétaire et financier, à numériser des actifs financiers alors même qu’ils reposent sur la même infrastructure et mobilisent les mêmes outils que l’ICO. Les STO disposent d’un cadre réglementaire adéquat, au même titre que les ICO à la suite de la loi Pacte.

L’application du droit de la consommation aux ICO entraîne un autre problème. Ce droit prévoit un délai de rétractation de quatorze jours, à l’issue duquel l’intégralité des sommes versées doit être remboursée à la demande du client. Toute transaction via une blockchain donne lieu au prélèvement de frais qui rémunèrent les acteurs chargés de sécuriser et valider les transactions. Un remboursement intégral s’apparente à une double peine pour l’entrepreneur, qui doit assumer lui-même les frais d’utilisation du réseau, alors qu’il n’a finalement pas bénéficié d’un investissement. En résumé, le droit de la consommation s’avère inapte à réguler la technologie de la blockchain, du fait de la nature spécifique des tokens et des modalités de leur offre. Là encore, le législateur doit intervenir pour mettre fin à l’application du droit de la consommation aux ICO.

En quoi la blockchain peut-elle devenir un outil de souveraineté numérique ?

La technologie Blockchain est une opportunité pour la France de se réapproprier une souveraineté numérique fortement érodée par les précédents virages technologiques manqués (cloud, internet). La pandémie a mis en exergue la très forte dépendance technologique et la nécessité de s’en émanciper.

La forte demande des entreprises pour une infrastructure Block in France développée par des entités dont le siège social est en France et avec une architecture issue de la R&D nationale (faire un renvoi vers notre rapport) illustre cette prise de conscience des entreprises.

En tant que technologie d’infrastructure, la blockchain offre une formidable opportunité de redistribuer les cartes de la géopolitique.

La blockchain peut constituer une arme d’émancipation majeure par rapport aux autres puissances mondiales, dans la mesure où elle permet de créer et d’échanger de la valeur à l’échelle internationale en s’affranchissant du système monétaire de Bretton Woods qui a placé le dollar au cœur du système financier mondial.

La Chine va utiliser la technologie blockchain, en tant qu’arme géopolitique, pour accélérer la dédollarisation de l’économie mondiale, qu’elle associe à l’émergence de la Route de la soie. La Russie et la Chine ont en effet établi, à la faveur des changements climatiques, une nouvelle Route de la soie qu’elles souhaitent rendre accessible aux entreprises de toute la planète. Lors du dernier sommet du Groupe des vingt (G20), le dirigeant chinois, Xi Jinping, a estimé nécessaire de soutenir le développement des monnaies numériques de banques centrales (Central bank digital currency : CBDC). Le yuan numérique a dès à présent cours. Les entreprises qui voudront utiliser la route de la soie se verront contraintes d’y recourir en tant que monnaie de règlement des échanges commerciaux internationaux.

Un nouvel ordre financier mondial s’annonce. La technologie blockchain en constituera, à n’en pas douter, un pilier. Plus de quatre-vingts banques centrales expérimentent actuellement la création de monnaies de banque centrale à l’aide de la technologie blockchain. De telles monnaies présentent l’avantage d’assurer la maîtrise des flux monétaires et de faciliter l’ajustement des politiques monétaires. La simplification de l’échange d’actifs grâce à la technologie blockchain améliore en outre l’efficience économique. Comme cette technologie garantit la traçabilité des transactions, elle contribue enfin à la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent.

Cet été, la Banque centrale européenne (BCE) décidera très probablement de créer un euro numérique, qui devrait voir le jour au plus tard en 2025. La technologie blockchain apparaît donc comme une arme de redistribution des cartes du système monétaire et financier international.

À l’échelle de l’Union européenne, je préconise la rapide mise en place d’un euro numérique. Il éviterait que nous soit une fois de plus imposée une monnaie étrangère dans le commerce international qu’elle émane d’un pays ou d’un géant de la tech.

Dans quel aspect de la technologie blockchain investir pour affirmer notre souveraineté ?

Je recommande une approche pragmatique. La souveraineté peut s’envisager sous plusieurs angles. Sous celui de la gestion des données, nous pourrions créer un cloud décentralisé, bien plus sécurisé qu’une base de données centralisée. Combien d’entreprises ont-elles déjà fait l’objet de cyberattaques ? Combien de brèches de sécurité ont-elles déjà entraîné des fuites de données ? Combien d’exemples de piratages faudra-t-il encore avant que nous admettions notre vulnérabilité ? La blockchain permet de mettre fin à la dépendance vis-à-vis des GAFAM en matière de traitement et de stockage des données. Certaines entreprises l’ont déjà compris.

En matière de gestion de l’identité digitale, la blockchain permet d’attribuer à chaque individu un identifiant unique à l’abri des contrefaçons. Le ministère de l’Intérieur a lancé un groupe de travail auquel j’appartiens. Son livre blanc, dont la parution ne saurait tarder, ambitionne de mettre en évidence l’intérêt de la blockchain dans la gestion des identités, notamment en vue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Face à un afflux massif de personnes sur notre territoire, nous devons disposer de bases de données mondiales pour démasquer les individus usurpant l’identité d’un tiers ou susceptibles de menacer la sécurité de nos concitoyens. De telles informations peuvent s’échanger via une blockchain sans qu’elles soient révélées dans leur intégralité.

En résumé, les bénéfices les plus évidents du recours à la blockchain au service de la souveraineté passent par la création d’un cloud décentralisé et d’une identité digitale sécurisée ainsi que par les échanges d’informations à l’abri des cyberattaques en vue de préserver l’intégrité du territoire et la sécurité de ses ressortissants.

Quels apports de la blockchain dans le quotidien de nos concitoyens ?

L’administration publique doit pouvoir se moderniser pour améliorer la qualité des services délivrés à nos concitoyens en utilisant les nouvelles technologies pour favoriser une meilleure collaboration entre l’administration et ses administrés.

Cette technologie permettrait d’accélérer la numérisation de l’administration par la dématérialisation des documents papier. Suez, membre de notre fédération, œuvre dans l’économie circulaire et recourt à la blockchain pour assurer un traçage plus efficace des déchets et une meilleure inclusion des acteurs du secteur. Dans le même esprit, la numérisation des bordereaux de suivi des déchets réduirait la charge administrative qui pèse autant sur les pouvoirs publics que sur le secteur privé.

La blockchain faciliterait en outre, en l’automatisant, la mise à jour de registres comme celui du cadastre ou des actionnaires des sociétés non cotées. 85 % de la richesse créée en Europe provient des PME. Pourtant, celles-ci souffrent de difficultés de financement. La blockchain leur apporterait une solution, via la diversification de leurs investisseurs.

La mise en place d’un système de vote traçable et transparent au moyen d’une blockchain favoriserait une meilleure inclusion des citoyens dans les processus démocratiques. Le mouvement des Gilets jaunes a révélé une fracture grandissante entre les élus et ceux qu’ils représentent. La technologie blockchain apparaît comme un formidable outil pour restaurer la confiance. Grâce à elle, chacun pourrait constater, sans nécessité de s’appuyer sur la garantie d’un tiers, que son vote a bien été comptabilisé. La mise en place d’un tel système de vote ne prendrait que quelques mois.

Une entreprise répondant à un appel d’offres, pour peu qu’elle sache à qui s’adresser, obtiendra connaissance des offres concurrentes. Nous ne disposons pour l’heure d’aucun moyen de garantir la transparence dans la passation des marchés publics, hormis la blockchain.

La France pourrait transmettre ces propositions et bien d’autres encore à l’occasion de sa présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022. La qualité de vie de nos concitoyens s’en trouverait améliorée, de même qu’en sortirait renforcée la confiance dans les élus et les institutions.

Comment pourrait être déployée une filière de formation ?

La formation aux métiers du numérique doit tirer parti de l’opportunité que représentent ces métiers pour le développement économique. L’un des points essentiels de cette sortie de crise réside dans notre capacité à former les cerveaux de demain. En effet, la pandémie a souligné la dépendance internationale de l’État français concernant certains savoir-faire, notamment techniques et technologiques.

L’importance du digital et de la maîtrise des outils numériques, y compris Blockchain a été réaffirmée par cette crise et de nombreux États (Australie, Colombie, Etats-Unis, Dubaï, Chine) ont pris la décision de renforcer leurs cursus de formation dédié à la Blockchain.

Il est crucial de rehausser le niveau de formations des nouvelles générations d’ingénieur et d’entrepreneurs en instaurant des formations propres à chaque secteur d’activité tout en contribuant à créer des passerelles et synergies entre le monde académique et celui des entreprises.

Il n’existe à ce jour aucune formation certifiante, reconnue par l’État, qui atteste une expertise en matière de technologie blockchain. La Commission européenne a partagé ce constat. Elle a d’ailleurs commandé, par l’intermédiaire d’un consortium baptisé le projet CHAISE, une étude visant à définir les besoins des acteurs de l’écosystème de la blockchain pour proposer des formations qui y répondent. L’étude menée par notre fédération, achevée en octobre dernier, a montré que près de 65 % des entreprises souhaitent recruter à court terme des experts des blockchains, aussi bien développeurs ou architectes que commerciaux ou analystes.

Il faut donc qu’évoluent les offres de formation des écoles de commerce et des universités afin que ces entreprises disposent d’une main-d’œuvre maîtrisant la technologie blockchain. Celle-ci ne survivra qu’à la condition que des individus continuent à l’utiliser, la comprendre et la commercialiser. Notre fédération associe les universitaires aux entrepreneurs en vue de la conception d’une offre de formation en adéquation avec les besoins du marché.

Le ministère de l’Education nationale devrait inciter écoles et universités à intégrer dans leur offre de formation des modules blockchains. Les entreprises ne demandent qu’à dispenser leur expertise en la matière dans un tel cadre.

Il faudrait également délivrer des formations à tous les corps professionnels, aussi bien aux métiers du droit, à l’École nationale de la magistrature (ENM), qu’à ceux de l’immobilier. Comment avocats et juristes pourraient-ils conseiller les entreprises sans comprendre le fonctionnement de la blockchain ?

Une approche par corps de métier donnerait lieu à une sensibilisation progressive à l’impact de la technologie blockchain pour chaque secteur. À la seule condition de disséminer et d’augmenter la qualité de l’expertise dans ce domaine, nous réussirons à convertir la France en blockchain nation.

Quelles actions pourraient renforcer l’attractivité de la France pour l’écosystème blockchain ?

Nous devons répondre à une question simple mais pour le moins fondamentale pour l’avenir de notre industrie en France : pourquoi une entreprise désireuse de proposer des produits et des services basés sur la technologie blockchain s’établirait-elle en France plutôt qu’ailleurs ? Comment donner aux sociétés l’envie de choisir la France ?

D’abord, nous devons renforcer notre capacité de contribution à leur financement. Ensuite, il faudra instaurer un cadre réglementaire intelligible favorable à l’utilisation de cette technologie. Enfin, il serait bon qu’évoluent les pratiques de place des autorités de supervision. Si celles-ci persistent à ne pas traduire, dans la pratique, l’état d’esprit de la loi, le sentiment viendra qu’une fois de plus, la France ne se sera pas montrée à la hauteur de ses ambitions. Le gouvernement a manifesté à plusieurs reprises sa volonté, partagée par l’ensemble des acteurs, de faire de notre pays une blockchain nation, ce pour quoi ils se sont mobilisés et structurés autour de la FFPB.

Celle-ci reste à la disposition des pouvoirs publics pour échanger en vue du développement d’un écosystème structuré, en voie de professionnalisation et en adéquation avec l’évolution de notre économie. J’ai indiqué des actions à mener dans l’intérêt des entreprises. Cependant, la question mérite qu’on y réfléchisse du point de vue des particuliers.

Un abattement fiscal de 50 % du montant investi dans une ICO en cas de conservation des actifs pendant une durée de deux ans, le temps, pour une entreprise, de mener à terme un projet puis de le commercialiser, inciterait à investir dans les PME recourant à ce type d’opération pour se financer. Une mesure similaire porte déjà sur les actions émises par les PME.

L’imposition à taux unique des particuliers ayant investi dans les cryptoactifs avoisine les 30 %. Certes, ce taux frôlait auparavant les 50 %, mais il conviendrait que la France s’aligne sur les autres pays. Nos voisins européens s’en tiennent à des taux d’imposition bien plus faibles. Le calcul de la plus-value, d’une grande complexité, repose sur l’établissement de moyennes. Le formulaire n° 2086 de déclaration des plus ou moins-values de cessions d’actifs numériques apparaît mal adapté à la réalité des mouvements de cryptoactifs. Il autorise à déclarer cinq opérations seulement, un nombre de transactions qu’il n’est pas rare d’opérer en l’espace d’une seule journée. Il reste en outre à éclaircir la notion d’activité occasionnelle et à titre habituel. Les plus-values réalisées à l’issue d’investissements dans des cryptoactifs, par le biais d’ICO ou de PSAN établis en France ou à l’étranger, pourraient être exonérées d’impôts à condition qu’elles soient consacrées à l’achat de biens ou de services, sur lesquels l’État prélève 20 % de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Une telle mesure favoriserait l’adoption des cryptoactifs par les commerçants. Rappelons que l’euro numérique verra le jour au plus tard en 2025. L’Allemagne elle-même a opté pour une telle approche pragmatique.

Un cadre réglementaire et fiscal adapté, ajouté à des pratiques de place en adéquation avec nos ambitions, ainsi qu’au soutien des pouvoirs publics et des investisseurs privés, permettrait à la France d’occuper une place majeure dans la compétition internationale déjà bien entamée dans le domaine de la technologie blockchain.

Nos propositions

1) Donner une force probante aux informations inscrites dans le registre de la Blockchain

2) Supprimer l’application du droit à la consommation aux ICOs et faire évoluer la pratique de supervision des autorités administratives

3) Adapter les definitions juridiques des termes présents dans le JORF (actifs numériques, smart contract) à la réalité technologique et fonctionnelle

4) Mettre en place une certification visant à attester la véritable présence d’un protocole Blockchain au sein d’un produit/service prétendant y avoir recours

5) Mettre en place un abattement à hauteur de 50 % du montant investi dans le cadre d’une ICO en cas de conservation pendant une durée de 2 ans des jetons émis par l’entreprise

6) Faire évoluer l’article L.111–3 du Cope de la propriété intellectuelle pour y inclure les NFT

7) Exonération d’imposition de la plus-value réalisée (Flat Tax — crypto to fiat) en cas d’investissement de la plus value générée dans un bien ou service éligible la TVA à hauteur de 20%

8) Mettre en place un statut de l’opérateur DEEP et reconnaître au Déclarant au regard des obligations fiscales déclaratives portant sur les flux financiers concernant les investisseurs dont les titres sont enregistrés dans le DEEP

· La qualité d’Agent Payeur pour les flux financiers concernant les investisseurs dont les titres sont enregistrés dans le DEEP ;

· La qualité d’intermédiaire financier pour la production de certains états de calculs/attestation de nature fiscale concernant les opérations réalisées par les investisseurs sont les titres sont enregistrés dans le DEEP ;

· La qualité intermédiaire financier au regard de l’accord FATCA pour les investisseurs dont les titres sont enregistrés dans le DEEP.

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